Le travail des cadres est devenu beaucoup plus complexe, dans des organisations et structures elles-mêmes plus complexes (matricielles à plusieurs dimensions, complétées parfois par empilement de projets). Il est donc important d’identifier les enjeux qui en découlent. Nous sommes face à un paradoxe : le nombre de cadres croît, l’expertise aussi, mais le travail des cadres se dilue. On assiste à un raccourcissement des lignes hiérarchiques, mais à une multiplication des autres lignes de pilotage. Les progiciels de gestion intégrée sont censés faire le travail des cadres à leur place. Pourtant dans les organisations actuelles, caractérisées par plus d’interaction, de travail en réseau et de partenariat externe, le travail d’organisation confié aux cadres en général et aux managers en particulier prend une importance fondamentale. Ils sont des agents d’organisation et de coopération, ils établissent des liens, ils traduisent, ils évaluent. Ils font vivre les organisations, ils sont créateurs de performance collective.
Partant de ce constat, l’Observatoire des Cadres a lancé des alertes et formulé des propositions qui sont autant de leviers d’action et d’appels à l’innovation :
La question de la performance est légitime, mais il faut prendre en compte sa globalité et ses différentes dimensions, et ne pas la réduire à la seule mesure ‘’productiviste’’ de l’atteinte d’objectifs quantitatifs à court terme via des batteries d’indicateurs, des processus et du reporting. Il faut prendre en compte véritablement la dimension collective et la dimension temporelle, en explicitant les objectifs visés à moyen terme et à court terme, la création de valeur espérée, et l’articuler avec les contributions individuelles. Il s’agit de séparer clairement l’évaluation de la performance centrée sur l’activité et le collectif d’une part, et l’évaluation des efforts et des mérites des personnes d’autre part. L’évaluation individuelle doit être reconsidérée, d’autant plus quand elle vise à ‘’classer’’ les salariés et à les mettre en concurrence, pour s’intéresser à leur travail réel, à leur charge de travail, aux modalités de sa réalisation, à la qualité, à la satisfaction qu’il procure, etc. Le rôle des cadres et le management en seront fortement modifiés.
On ne peut pas réduire la question de la compétitivité à la seule question des prix et des coûts. L’organisation du travail et du management ainsi que l’innovation y contribuent fortement. Or le management est pris dans des contradictions fortes, entre l’injonction d’autonomie et la pratique du pilotage top-down et du contrôle permanent, ainsi qu’entre l’injonction de travailler en équipe et l’évaluation individuelle. Une prise de conscience et un changement fort dans la culture et la pratique du management sont nécessaires pour sortir de ces contradictions. Il faut valoriser le collectif et la coopération, mais aussi reconnaître, écouter, respecter l’individu. La qualité de la vie professionnelle, la qualité du travail, la qualité du service rendu au client, le soin apporté au développement des compétences, la prévention des risques sont autant de fondamentaux et d’opportunités d’innovation pour le travail de management et le dialogue professionnel, eux-mêmes leviers de compétitivité. Il faut revisiter l’apprentissage du management. Dans les écoles, l’enseignement du management est fréquemment réduit à des techniques de gestion, et après la formation initiale, les cadres sont le plus souvent laissés à eux-mêmes.
Or le management est à la fois un art, un artisanat, une science. Au-delà de la formation théorique indispensable, il faudrait faire un véritable apprentissage du management dans une forme d’alternance, pratiquer le partage d’expérience et mener une réflexion critique sur ses propres pratiques. Il faut concevoir et gérer autrement les parcours professionnels. L’expression ‘’faire carrière’’ est associée à l’idée d’une vie professionnelle réussie. Bien que moins touchés par le chômage, les cadres connaissent le licenciement et la peur du déclassement. Et il serait vain de croire que l’on va revenir à des parcours linéaires. Néanmoins, il faut prendre en compte le fait qu’on ne transforme pas sans dommage les cadres en mercenaires interchangeables, en nomades. Accompagner et sécuriser les transitions professionnelles, gérer les déroulements de carrière avec des règles transparentes et non discriminatoires, donner un sens aux vies professionnelles, tout cela permettrait de créer un nouveau contrat de confiance. Prenons en compte le désir des individus d’effectuer un travail de qualité, de se réaliser et d’être utiles. Rendons possibles les progressions et évolutions de toutes celles et ceux qui le désirent, supprimons les barrières et plafonds injustifiés, et enfin entendons le souhait des jeunes diplômés qui veulent devenir cadre.