Comment mesurer l’inégalité ? Pour Pascal Cardineaud, secrétaire CFDT du Comité d’entreprise de Dexia, plusieurs indicateurs peuvent outiller les militants : ‘’il y a le niveau de salaires et les modes de rémunération, bien sur, mais également l’accès aux postes de direction et, plus largement, de responsabilité’’. Il s’agit de mesurer les mécanismes, les passages et la progression de carrière. L’enjeu est de mettre en lumière les modes de décisions et d’organisations qui facilitent… la domination masculine. Mais sur ce sujet aussi difficile que sensible, les entreprises préfèrent afficher des objectifs lisibles et atteignables : installation de crèches, féminisation de certains métiers, etc. : les indicateurs et la communication interne peuvent masquer l’évolution réelle. ‘’En l’absence de convictions des dirigeants eux-mêmes, rien n’est possible, notamment parce que les managers de proximité ne favoriseront pas ou mal ce qui est perçu comme de la poudre aux yeux. L’articulation travail-vie privée se joue souvent à la périphérie de la relation d’emploi, le cœur de l’organisation du travail est rarement impacté’’ regrette Sophie Pochic.
On observe différentes stratégies : repli sur des fonctions moins exposées (experts), changement de carrière (vers le professorat par exemple), ou au contraire, ‘’féminisation’’ de la trajectoire professionnelle après 35-40 ans. Autant de pratiques éloignées d’un changement durable qui lui devrait porter sur une vraie conciliation des deux carrières dans un couple, sur l’aménagement négocié collectivement des horaires et d’une gestion égalitaire des parcours. L’exemple-type est celui de la mère de famille, à temps partiel choisi, et dont le temps d’investissement équivaut à celui d’un temps complet ; une performance non mesurée par l’entreprise ! Car le ‘’risque parentalité’’ doit-il reposer majoritairement sur les femmes ?! C’est dans ce cadre que la CFDT Cadres propose une petite révolution dans les représentations, en étendant le congé paternité à deux mois. Autre mesure, mais qui fait débat : faut-il imposer des quotas pour faciliter l’accès des femmes aux postes de direction, et notamment dans les conseils d’administration ? Là encore, prenons garde à l’effet d’image ; la lutte contre les discriminations doit avant tout questionner les modèles élitistes. C’est l’égalité des chances qui valorise les compétences.
Dernier obstacle, celui de la conjoncture économique et de l’instabilité de l’entreprise postindustrielle. Cécile Guillaume, maître de conférences à Lille-1 et chercheuse au Clersé-CNRS, a étudié la dilution de l’égalité professionnelle dans les restructurations. ‘‘En période d’instabilité, c’est un enjeu social qui passe à la trappe, ou qui se relativise au sein d’autres problèmes de discriminations’’. Les fonctions supports, très féminisées, sont par exemple très touchées. La promotion interne et le passage cadre marquent le pas. Là encore, les stratégies personnelles prennent le relai de déficiences organisationnelles : c’est le diplôme initial et le réseau qui protègent… Mais pourquoi le genre est-il une variable d’ajustement ? Cécile Guillaume voit dans la ‘’définition charismatique du pouvoir’’, par opposition à une vision plus technique ou gestionnaire, une forme de domination masculine dans les entreprises et les modes de management. Et de plaider pour une mixité. ‘’Plus que la qualité d’un genre, c’est l’interaction hommes-femmes qui profite à la gouvernance’’. Si la question de l’égalité n’a jamais été autant consensuelle dans la société, elle demeure en chantier dans le monde du travail.