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L’autonomie contre l’individualisme par Jean-Marie Bergère

Tribune publié dans la Revue Cadres, Enquête d’autonomie, N°471, Décembre 2016.

Revue publié par notre partenaire CFDT Cadres.

www.larevuecadres.fr

Pouvoir d’agir et capacité à coopérer

L’autonomie se construit. Une politique de l’individu pour développer les capacités de chacun en situation. Faire advenir la puissance d’agir des individus en construisant des collectifs, en luttant contre le narcissisme et la mise en concurrence généralisée.

L’autonomie est au cœur des réflexions contemporaines sur le management. Valeur positive, elle évoque la latitude pour s’exprimer et agir, la confiance – confiance accordée et confiance en soi -, la compétence de celui qui sait comment faire, la créativité. Une récente publication issue d’un travail conjoint entre La Fabrique de l’industrie, l’Anact, Mines Paris Tech et Terra Nova, invite à centrer la réflexion sur l’autonomie au travail. Elle y est présentée comme consubstantielle à la qualité de vie au travail (QVT) et un levier essentiel de performance et de compétitivité.

Mais c’est aussi une valeur contestée. Elle serait le signe de la montée de l’individualisme, entendu comme « chacun pour soi ». Comment développer la coopération au sein des collectifs de travail en même temps que l’on fait la promotion de l’autonomie et de l’engagement individuel ? Lorsque l’autonomie est prescrite, elle devient le symbole des injonctions contradictoires et des jeux de dupes. « Soyez autonome ! » et n’oubliez pas de donner vos chiffres pour le reporting ! L’enquête de la Dares Conditions de travail indique que le travail prescrit augmente pour toutes les catégories socio-professionnelles, ouvriers, employés, cadres. En 1998, 14,2 % des salariés déclaraient que leurs supérieurs leur disaient comment faire leur travail. Ils sont 19,3 % en 2013. Même répété, le mot ne fait pas la chose.

Ambivalence d’une valeur

Lorsque l’on demande à des salariés quelle expérience pratique ils ont de l’autonomie, les réponses vont du plus négatif au plus positif. Pour certains, le mot est vide de sens ou absent du vocabulaire professionnel. La réalité est l’augmentation des prescriptions, des normes, des procédures, des objectifs, du reporting. La cool attitude se généralise, la cravate se fait rare, mais le couple process-contrôle et la distance hiérarchique demeurent1. La vérité est que les « sociétés de contrôle » ont succédé aux « sociétés disciplinaires »2. Les modalités de la domination changent, mais l’objectif est le même : contraindre et mettre en ligne des salariés – cadres compris3 – présumés récalcitrants et « qui résistent au changement ». Le numérique, la transmission en temps réel des données, les big data, les algorithmes, outillent cette mutation. Le pouvoir devient invisible, désincarné, logé dans l’ordinateur ou mieux encore, intériorisé en chacun de nous, sommés que nous sommes de nous « adapter ». Pour ces salariés, la rhétorique de l’autonomie signifie « débrouillez-vous, adaptez-vous au rythme du changement, vous serez jugés sur vos résultats ». Pour les cadres, elle est synonyme de compression des niveaux hiérarchiques. Les lieux de régulation et de soutien à l’activité, non immédiatement productifs, sont supprimés. Grâce à un tour de passe-passe, ce n’est pas l’autonomie promise qui augmente, mais les risques psychosociaux.

Pour d’autres, l’autonomie est une réalité et/ou un espoir d’épanouissement. L’autonomie qui permet d’organiser son emploi du temps et d’aménager ses horaires est plébiscitée dans toutes les enquêtes. Les cadres y voient un de leurs avantages. L’autonomie qui permet de développer ses propres manières de faire, d’adopter son propre style de management, de choisir ses priorités, est une bouffée d’oxygène. La possibilité de choisir entre plusieurs options tout au long d’un parcours professionnel qui ne soit pas écrit à l’avance et qui puisse s’inventer indépendamment des promotions à l’ancienneté ou des cooptations opaques, est une attente puissante. L’envie de se mettre à son compte, d’accepter le risque et l’incertitude en contrepartie d’une plus grande liberté, est élevée, en particulier chez les plus jeunes rebutés par les conditions d’entrée dans les carrières salariées. Les contraintes se révèlent souvent plus importantes que prévues, mais l’enthousiasme de certains auto-entrepreneurs et travailleurs indépendants, récréant des « collectifs d’individus autonomes » dans les lieux de co-working et autres tiers-lieux, n’est pas feint.

Alors, miroir aux alouettes ou secret de la réussite ? Naïveté, auto-persuasion et servitude volontaire, ou secret enfin dévoilé de la compétitivité, de l’épanouissement et de l’émancipation ? Peut-on parler dans les deux cas d’autonomie ? Pourquoi adopter un mot au sens aussi large et aussi ambivalent ? A la différence de taylorisme, fordisme, toyotisme, reengineering, lean, downsizing, etc., « autonomie » n’est pas un terme propre au travail et au management. Pour tenter de répondre à ces questions, il nous faut aller voir comment il est utilisé dans d’autres contextes.

Liberté conditionnelle

L’usage du mot est ancien. Dans la Grèce antique, les cités-Etats (Athènes, Sparte et les autres) définissent une « communauté de citoyens libres et autonomes », une communauté « d’animaux politiques » (Aristote) qui décident de leurs propres lois, l’étymologie « auto nomos » en atteste. Aujourd’hui, en Europe, les « régions autonomes », Catalogne, Ecosse, Wallonie, Madère, etc., sont à des degrés divers dans une situation intermédiaire entre l’indépendance et l’intégration. Cette situation est un entre-deux instable. Cette souveraineté « dans certaines limites » est conçue, négociée et vécue selon les cas et les interlocuteurs, comme un contre-feu ou au contraire une antichambre à l’indépendance. En France, les débats sur la décentralisation et la déconcentration ne semblent jamais pouvoir s’arrêter, entre recherche de la proximité, territorialisation, et aversion pour les baronnies, réelles ou fantasmées. Un économiste parlait récemment de « décentralisation jacobine ».

La philosophie morale est historiquement fondée sur la notion de libre-arbitre entendu comme autonomie de jugement et de volonté. L’autonomie est celle d’un ego seul avec lui-même, d’une conscience dont tout procède, « je pense donc je suis ». Eclairée par sa raison ou par sa foi, elle peut faire sienne la maxime qui la relie aux autres : « agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (Kant). Sans cette conscience « qui se donne ses propres lois », il serait impossible de demander à chaque être humain « majeur et sain d’esprit » de rendre compte de ses actes et intentions, et en cas de besoin de comparaître devant un tribunal, celui des Hommes, de l’Histoire ou de Dieu.

Le vingtième siècle va contester ce postulat. Il est dominé par ceux que Paul Ricœur appelle les « maîtres du soupçon ». Chacun à sa manière, Nietzsche, Marx et Freud s’attachent à démontrer que la conscience et le libre-arbitre ne sont qu’illusion. Nous croyons être libres et décider « en conscience », selon la loi que nous nous donnons, alors que nos croyances et nos idoles (Nietzsche), l’idéologie dominante et notre position dans les rapports de production (Marx), nos émotions refoulées et nos traumatismes enfouis (Freud), nous guident « inconsciemment ». Freud résumera cette mise en doute du libre-arbitre et du choix « en conscience », dans la métaphore du cavalier, à qui, « s’il ne veut pas se séparer du cheval, il ne reste le plus souvent qu’à le conduire là où il veut aller ». Le structuralisme, dominant dans les sciences sociales jusqu’aux années quatre-vingt, affirmait également « la mort du Sujet » et la toute-puissance des structures, instances, appareils et mécanismes abstraits.

Dans ce panorama express de la pensée philosophique, il faut faire une place à Baruch Spinoza, très en vogue aujourd’hui. Spinoza ne limite pas l’essence de l’homme à sa conscience. Il insiste tout autant sur la force du désir, l’appétit, « la force d’exister », la puissance d’agir, « acte, active, et en acte ». Il distingue les passions tristes, la haine et la culpabilité, qui « immobilisent notre puissance » et les passions joyeuses qui font que « notre puissance est en expansion, se compose avec la puissance de l’autre et s’unit à l’objet aimé ». A la Morale, qui rapporte toujours l’existence à des valeurs transcendantes, il oppose l’Ethique. Il n’est plus question d’obéissance à la loi, mais de discernement pour faire « la différence entre des modes d’existence bon ou mauvais » et décider en faveur de la « joie éthique » 4.

Critique du taylorisme

Antoine Riboud en 1972 demande aux dirigeants d’entreprises d’en finir avec l’autoritarisme et de reconnaître le rôle actif des salariés. Presque trente ans plus tard, dans un ouvrage capital, Le nouvel Esprit du capitalisme5, Luc Boltanski et Eve Chiapello analysent ce qu’ils ont appelé la « critique artiste » du travail. Rompant avec la seule critique sociale qui dénonce en priorité le règne des intérêts particuliers et l’exploitation des salariés, la critique artiste dénonce la perte de sens dans des organisations qui condamnent toute initiative personnelle et transforment les hommes en machines. Cette critique menée au nom de valeurs d’émancipation, satisfait les dirigeants à la recherche du secret de la « motivation » des salariés qualifiés dont ils ont absolument besoin. Les entreprises, souples, réactives, agiles et innovantes, annoncent la fin du taylorisme et recourent à « différentes combinaisons entre autonomie, sécurité et bien commun » 6. Dans ces entreprises, le « chef de projet » est un leader « actif et autonome », il n’est pas réductible à son grade dans une chaîne hiérarchique, il est « une vraie personne au sens où loin d’accomplir mécaniquement son rôle social – à la façon dont on exécute un programme – il sait prendre ses distances et faire des écarts au rôle qui le rendent attachant ». On entend aujourd’hui la critique de cette critique artiste. Elle aurait été « récupérée » au profit exclusif des organisations et la source de stress, chacun étant sommé d’être toujours plus performant. La mise en compétition des salariés entre eux aurait trouvé là une justification « moderne ».

Le développement des services, donne à l’autonomie, en particulier à l’autonomie individuelle – les Unités autonomes de Production, UAP, très en vogue dans la deuxième moitié du vingtième siècle appartiennent au vocabulaire de l’industrie – une place cruciale. L’interaction avec le client dans l’activité de travail elle-même, modifie profondément la relation entre la norme et l’activité. Il n’est plus question de demander au bureau des méthodes de définir les règles et procédures qu’il faudrait ensuite appliquer sans en déroger. Philippe Zarifian, parmi les premiers, insiste sur les notions d’événement, d’aléa, de situation chaque fois singulière, chaque fois nouvelle. La réussite est due aux arbitrages, fait en situation, dans l’instant, sur le terrain. On a pu définir le professionnel comme celui qui avait acquis le « coup d’œil » qui permet d’intégrer les paramètres fondamentaux d’une situation en un instant et d’interpréter la règle afin d’imaginer la réponse la meilleure. Cette autonomie est au cœur de l’activité de travail. Elle ne va pas sans un engagement subjectif qu’il est difficile de mesurer. Il n’est jamais sûr que le résultat soit proportionnel à l’effort fourni. La difficulté à en reconnaître l’intensité est un facteur de ce qu’on a pu appeler les « pathologies » de l’engagement, stress et burn-out. On n’échappe pas au caractère paradoxal de l’autonomie.

Si besoin était, le numérique renforce l’ambivalence de l’autonomie. Le numérique c’est la possibilité d’être connecté sur de multiples réseaux, d’y apparaître comme une personne singulière, de travailler à distance, etc. C’est aussi la crainte de la robotisation et de la prétention des algorithmes à décider à notre place. Là encore nous ne savons plus si l’autonomie est une valeur à laquelle il nous faut tenir, ou un leurre.

Cercle vertueux plutôt que pensée binaire

Il serait néanmoins de peu d’intérêt de s’en tenir à ce constat. Il nous faut plutôt nous interroger sur la possibilité de dépasser ce jeu de renvoi entre le pire et le meilleur, la souffrance d’un côté, la liberté de l’autre. Les auteurs du document déjà cité « La qualité de vie au travail » 7 proposent explicitement d’échapper à cette pensée binaire. A partir de travaux académiques et des enseignements d’expériences en cours dans onze entreprises auditionnées, ils expliquent comment les leviers de la QVT et ceux de la performance économique interagissent et convergent, sans pourtant qu’il soit possible d’établir entre eux un lien de cause à effet. Il faut plutôt voir cette interaction comme un cercle vertueux à enclencher en se fiant à ce qu’ils n’hésitent pas à qualifier d’acte de foi. Dominique Foucart, directeur de la performance industrielle de Michelin, le dit ainsi : « au départ de ce genre de démarche de responsabilisation, c’est certain, il y a un acte de foi dans le fait que la performance industrielle en sortira gagnante (on le fait pour cela !). Il est difficile de démontrer le retour sur investissement étape par étape ». Le document revient à plusieurs reprises sur cette logique systémique, trop rarement comprise : « les difficultés rencontrées par les entreprises dans leur transformation tiennent pour une large part à leur approche partielle et compartimentée de l’autonomie au travail ».

Les auteurs définissent trois niveaux hiérarchisés de l’autonomie au travail. L’autonomie réduite est celle qui permet de définir les tâches à effectuer, d’intervenir sur leur séquencement, la méthode d’exécution, le rythme, les outils. On passe ensuite au pouvoir « d’influencer son environnement organisationnel et collectif », d’utiliser « la marge de manœuvre pour définir les modes de coopération », et enfin au pouvoir de s’impliquer dans la gouvernance de l’entreprise et le dialogue social, d’avoir « une influence sur le partage de la valeur créée et la mise en œuvre d’un mode de management participatif ». L’excellence en matière sociale et économique est au bout du chemin.

Autonomie, responsabilité, responsabilisation, engagement, confiance, pouvoir d’agir, sont employés, non pas comme des synonymes, mais comme consubstantiellement liés les uns aux autres, comme les différents aspects définissant la GRH et l’organisation idéales, celles qui allient QVT et compétitivité. Il ne s’agit pas de faire la promotion d’un nouveau modèle – les auteurs reprochent aux tenants du lean, comme à ceux de « l’entreprise libérée » d’avoir cette prétention exorbitante – mais de définir le parcours au terme duquel l’autonomie est maximale et la performance aussi. Les auteurs nous invitent au fond à faire un pas de côté, à ne pas penser les organisations en termes technocratiques. Les entreprises sont des communautés humaines, les idées et les valeurs comptent autant que les organigrammes. Isaac Getz, le dit ainsi à propos des entreprises qu’il a étudiées et regroupées sous le nom d’entreprises libérées « le phénomène étudié nous a imposés, à nous les chercheurs, sa nature philosophique – et non celle d’un modèle d’organisation ».

On ne naît pas autonome, on le devient

La philosophie et la sociologie sont toujours les lieux de débats vifs. Ils mettent moins en scène des oppositions binaires entre des systèmes clos inconciliables, la conscience individuelle absolument libre et responsable de ses choix d’un côté, le conditionnement et la domination sur les esprits et les corps de l’autre côté.

On parle d’un retour du sujet, mais ce n’est pas un retour au même. Alain Touraine8 propose de définir « les uns par rapport aux autres » trois termes, individu, Sujet, acteur : « l’idée d’acteur social n’est pas séparable de celle de sujet, car si l’acteur ne se définit plus par son utilité pour le corps social ou par son respect des commandements divins, quels principes le guident, si ce n’est de se constituer comme sujet, d’étendre et de protéger sa liberté ? Sujet et acteur sont des notions inséparables et qui résistent conjointement à un individualisme qui redonne l’avantage à la logique du système sur celle de l’acteur… ». Michel Wieviorka dans un article intitulé « Le retour du Sujet » le définit ainsi : « le Sujet des sciences sociales contemporaines présentes deux faces. La première est défensive : il résiste aux logiques de domination, … aux normes et aux rôles, à la limite il lutte pour sa survie… Et le deuxième face du Sujet est constructiviste, … C’est la capacité d’agir, la créativité » 9.

Dans un article intitulé « S’individuer, s’émanciper, risquer un style », Alexandra Bidet et Marielle Macé développent l’idée d’une individuation comme « autoconstitution du sujet par sa propre action » 10. Toute idée d’un individu « constitué, tout fait », doté d’une identité d’où tout découlerait, est abandonnée. Le travail et l’expérience, conçus comme une « relation entre l’organisme et son milieu, d’une nature telle que l’un et l’autre se transforment mutuellement » 11 occupent une place centrale dans ces processus de développement des capacités et de l’autonomie, processus jamais terminé, toujours provisoire. Un être vivant « a besoin pour exister de pouvoir continuer à s’individuer en résolvant les problèmes du milieu qui l’entoure et qui est son milieu ».

Cette référence au « milieu » et au travail qui consiste à résoudre des problèmes, permet de sortir des oppositions absolues et stériles entre « moi et les autres ». Les collectifs obéissent eux-aussi à cette logique de la construction, « d’autoconstitution » et aux processus « d’individuation collective » 12. Fabienne Brugère formule ainsi cette relation nouvelle, qui n’est ni le tout individuel, ni le tout collectif : « chacun veut être reconnu comme un individu, sujet porteur de droits et de qualités, mais personne ne voudrait être livré à lui-même, réduit à une pure individualité qui ne serait que solitude, fragilité, impuissance »13. Il s’agit de faire advenir « la puissance d’agir des individus », d’ouvrir sur des horizons de possibles, de construire les collectifs en luttant sans relâche contre le narcissisme et la mise en concurrence généralisée. Loin du rêve du self made man et des injonctions à devenir tous des start-upers, ce qui compte c’est le « cadre adéquat de ressources », le socle de droits politiques et sociaux et les soutiens « qui ont pour vocation de rendre les individus capables, en s’intéressant à leurs capacités réelles plutôt qu’à leurs statuts ». Il s’agit de promouvoir la « politique de l’individu » pour mieux lutter contre l’individualisme.

Ce qui compte ce sont les processus, l’empowerment, « la capacitation », les parcours singuliers, « l’individuation » plutôt que l’individu, la coopération plutôt que la hiérarchie. Nous avons développé cette idée dans A quoi servent les Cadres ? : « l’autonomie attendue des cadres dans l’exercice de leurs responsabilités et dans la conduite de leur carrière a besoin d’un cadre juridique et institutionnel. Elle a plus besoin de sécurité que d’injonctions idéologiques. Mais l’autonomie est aussi une donnée subjective et comme telle singulière et fragile. C’est d’abord un processus au cours duquel chacun tente de devenir plus autonome, plus libre de ses choix »14. Les managers ne revendiquent pas leur autonomie uniquement pour eux-mêmes. Une de leurs missions, sans doute la plus gratifiante et à laquelle ils tiennent, est « de rendre capables » tous ceux avec qui ils travaillent, c’est-à-dire de leur apporter le soutien dont ils ont besoin dans leur marche vers plus de « puissance d’agir », c’est-à-dire plus d’autonomie et plus de capacité à coopérer. Pour le bénéfice de tous.

1 : Comme le révèle le calcul de l’indice de distance hiérarchique, très élevé en France.

2 : Selon la terminologie de Gilles Deleuze et de Michel Foucault.

3 : Dans les entreprises libérées, les cadres intermédiaires sont la cible privilégiée des dirigeants. Voir le reportage « Le bonheur au travail » (Arte, 2015) et « Le bonheur au travail vu à la télé », Metis, 9 mars 2015.

4 : Un think tank se réclamant ouvertement du philosophe, La fabrique Spinoza, lance en 2017 une formation « Devenez acteur du bonheur au travail dans votre organisation », après avoir publié en 2012 un rapport sur « Le bien-être au travail, objectif en soi et vecteur de performance économique ». Sans vouloir juger de la fidélité à l’œuvre du philosophe, les emprunts à son vocabulaire et à ses idées se sont multipliés, le « pouvoir d’agir » étant présenté comme un antidote à la « souffrance au travail ».

5 : Gallimard, 1999.

6 : Le nouvel Esprit du capitalisme, op. cit. L. Boltanski et E. Chiapello y développent notamment la thèse largement et diversement commentée ensuite : « les qualités qui, dans ce nouvel esprit, sont des gages de réussite : l’autonomie, la spontanéité, la mobilité, la capacité rhizomatique, la pluri-compétence, la convivialité, l’ouverture aux autres et aux nouveautés, la disponibilité, la créativité, l’intuition visionnaire, la sensibilité aux différences, l’écoute par rapport au vécu et l’accueil des expériences multiples, l’attrait pour l’informel et la recherche de contacts interpersonnels, sont directement empruntés au répertoire de Mai 68 ».

7 : Emilie Bourdu, Marie-Madeleine Péretié, Martin Richer, « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail », La Fabrique de l’industrie-Anact-Terra Nova, oct. 2015.

8 : Critique de la modernité, Fayard, 1992.

9 : Journal français de psychiatrie n°28, janv. 2007.

10 : L’ouvrage de référence dans ce domaine est un livre assez difficile d’accès de Gilbert Simondon L’individuation psychique et collective, Aubier, 2007. Préface de Bernard Stiegler.

11 : Jean-Marie Bergère, « Introduction à John Dewey. Joëlle Zask », revue Cadres n°467, déc. 2015.

12 : Cf. Marielle Macé dans son dernier livre Styles (Gallimard, 2016) précise que « l’individuation est aussi, et parfois prioritairement, une catégorie du collectif », « l’individuation n’encourage pas à penser des identités, mais des singularités ». Il n’est malheureusement pas possible de développer ici.

13 : La Politique de l’individu, La République des idées, Seuil, 2013.

14 : Yves Chassard, Jean-Marie Bergère (ss dir.), A quoi servent les Cadres ?, OdC / Odile Jacob, 2013.