Désormais bien installée à un rythme mensuel à Paris-La Défense, l’Heure OdC se tenait en ce mois de novembre sur le thème Big data, impacts sur le travail du cadre.
Les travaux de l’OdC sur la question, engagés dès 2015-2016 par un séminaire avec Dominique Cardon et Sylvie Joseph, soulignaient que le Big data impacte le contenu du travail des cadres à triple titre : comme utilisateurs, comme managers, ou comme concepteurs des algorithmes. Nous avions alors espéré que le Big data permettrait aux cadres de libérer du temps pour se reconcentrer sur des enjeux de mise en perspective, d’animation des équipes, et de recherche des solutions…rendant ainsi la fonction managériale plus nécessaire encore dans l’entreprise : interprétation, évaluation, créativité, relations humaines. Nous avions même espéré – suggéré – l’opportunité d’un renouveau de la fonction cadre…et émis quelques conditions : les cadres doivent être en mesure de comprendre comment ces outils entrent dans le fonctionnement et la performance de leur entreprise, ainsi que dans les expériences des salariés et usagers. Sinon, à défaut d’intelligence critique des salariés, l’intelligence artificielle des outils, aussi puissants et perfectionnés soient-ils, pourrait bien être contre-performante à long terme pour les organisations.
18 mois plus tard, qu’en est-il ? Concrètement, comment les sièges sociaux des multinationales de La Défense ont-ils engagé la transformation numérique ? – Point de vue des salariés cadres.
Ce 8 novembre, Sylvie Joseph et Anne-Florence Quintin ont fait le point et recueilli des témoignages des cadres présents dans les entreprises du quartier.: où en est-on réellement de l’utilisation du Big data sur le travail ? Quel est son impact ?
Les témoignages ont tous souligné l’attitude « apprenti sorcier » des transformations engagées.
Si l’on pouvait espérer que la multiplication des data dans l’entreprise permette de dégager du temps pour – s’agissant des managers – mieux faire le travail d’accompagnement des équipes, de repérage des compétences à acquérir, les témoignages des salariés convergent à contrario sur le constat que la data étant très facile désormais à collecter, les entreprises demandaient aux cadres encore plus de reporting. Obligatoire, quitte à ce que ces données ne soient jamais utilisées, ou de manière incohérente.
Big data : quel effet sur la charge de travail des cadres aujourd’hui ?
L’arrivée du Big data dans les entreprises a un impact sur le charge de travail des cadres : de manière contre-intuitive, l’intégration des algorithmes dans le travail des cadres alourdit – pour l’instant – la charge de travail des cadres experts et managers : les taches que les « assistants digitaux » ne peuvent plus faire, – le cas du secteur comptable a été présenté précisément – sont prises en charge par les hommes, souvent des cadres très qualifiés qui sont de plus en plus concentrés sur des taches très complexes tout au long de la journée. Au quotidien, l’alternance de taches simples et complexes a quasi disparu, alors qu’elle permettait des temps de régénération mentale. En supprimant le poste de facturation et saisie par exemple, occupé désormais par un robot ½ journée par semaine, les ajustements métier ne se font plus mais la responsabilité de la cohérence du résultat de la matrice comptable relève toujours du cadre. La charge du travail d’ajustement métier est toujours reportée sur les équipes, contrairement à la promesse immédiate du grand big bang Big data.
Les entreprises mettent-elles en œuvre des stratégies RH sur la transformation des compétences ?
Avis très tranchés. Dans les entreprises du secteur informatique, leader sur le secteur, le Big data « est une stratégie pour acquérir des clients », mais curieusement « il n’y a pas de stratégie RH sur le changement de nos métiers ». La compétence elle-même est mal définie, et, dans un cercle vicieux, est considéré comme compétent, celui qui maîtrise le dernier logiciel à la mode, alternativement Oracle ou son concurrent. La communication RH n’est alors que de « créer des postes à forte valeur ajoutée ». Les compétences sont considérées comme caduques selon l’adéquation ou l’inadéquation avec les outils.
Dans une grande entreprise du secteur des transports, un trop vague critère « d’ appétence au numérique » filtre les promotions de carrière.
Il faudrait mieux définir ce qu’est une compétence. Voire rendre des éléments de cette définition opposable… ? Alors qu’un défi RH du secteur informatique est justement la difficulté à recruter, une des entreprise leader assume le PSE comme un élément de leur stratégie.
La participation des managers au repérage des nouvelles compétences, par la connaissance du métier, a aussi été évoquée. Là encore, maigre bilan à cette date. Le manager n’est pas appuyé, reconnu dans ce rôle d’accompagnement des équipes dans la transformation des compétences, c’est lui qui pourtant connait les métiers.
Dans les entreprises les plus « accompagnantes », la gestion de l’incertitude prévaut. Pour opérer avec le peu de réflexion RH sur l’évolution des modalités de recrutement, des attentes employeur, « on cherche des cadres qui ont les capacités les plus importantes à se former plus tard ». Donc, les hauts niveaux d’études uniquement, car l’entreprise leur reconnait une capacité à « s’autoformer ». Le recrutement des non-cadres est quasi inexistant dans les entreprises du secteur Banque et Assurances des sièges sociaux à la Défense.
Au total, observez-vous des changements dans votre rôle de manager ? « Tant qu’il n’y aura pas de pilotage de l’incertitude, non. »